Søren Kierkegaard

Plus célèbre des penseurs danois, Kierkegaard est considéré comme une figure majeure de l’existentialisme chrétien et un précurseur de la psychologie des profondeurs. Philosophe atypique, qui écrit la moitié de ses ouvrages sous différents pseudonymes étranges (comme Johannes de Silentio, Hilarius le Relieur, Anti-Climacus, …), ce fils de commerçant, élevé dans l’austérité de la foi luthérienne, adopte un style dandy dans sa jeunesse, séduit la plus jolie femme de Copenhague (Regina Olsen) mais rompt ses fiançailles avec elle, pour se consacrer à l’écriture. Ayant enterré cinq de ses six frères et sœurs dont aucun n’a dépassé l’âge de 33 ans, persuadé que lui-même mourra jeune, il se tourne de plus en plus vers la réflexion théologique tout en critiquant avec virulence la religion de son temps. Il décède prématurément à 42 ans, comme il l’avait prédit. Passant de l’ironie la plus mordante (Le journal du séducteur, In vino veritas, Miettes philosophiques) à l’angoisse la plus profonde (Traité du désespoir, Le concept d’angoisse, La Maladie à la mort…), Kierkegaard ne cesse d’interroger ses propres choix parce qu’il estime que ce sont eux qui singularisent l’individu et donnent sens à sa vie. À ses yeux la vérité n’est pas objective mais subjective, c’est-à-dire intérieure : l’important n’est pas de raisonner sur le monde, comme le font les philosophes (titre qu’il rejette) mais de savoir comment on peut faire de sa vie l’expression de la vérité.  

Le point de départ de sa philosophie est une critique de l’idéalisme allemand et tout particulièrement du systématisme de Hegel, « penseur abstrait » et « figure comique », qui ne voit pas que tout homme est une « synthèse d’infini et de fini, de temporel et d’éternel » et qu’il n’acquiert son moi qu’en ayant conscience de cette synthèse. Cette tâche difficile, confiée à sa liberté (ce dont témoigne le titre du livre le plus important de Kierkegaard : Ou bien… ou bien), peut le mener au désespoir mais aussi à l’existence la plus authentique. Se prenant lui-même comme objet d’étude, Kierkegaard distingue trois étapes sur le chemin de la vie : le « stade esthétique » où prime le plaisir de l’instant et où excelle Don Juan ; le « stade éthique » qui culmine avec l’engagement dans le mariage et où le sens de l’existence devient dépendant de l’acceptation des valeurs sociales, stade illustré par Agamemnon qui sacrifie sa fille Iphigénie par devoir envers la cité ; le « stade religieux », enfin, figuré par Abraham, ce « chevalier de la foi », qui en dépit de toute raison est prêt à égorger son fils unique, Isaac, simplement parce que Dieu le lui demande, choix terrible sur lequel Kierkegaard ne cesse de méditer dans Crainte et Tremblement.

Penseur de la liberté et de l’authenticité, mais aussi du tragique et de la solitude, Kierkegaard sera une source d’inspiration pour bon nombre de penseurs du XX^e siècle comme Heidegger, Sartre ou encore Ricœur.