Donatien Alphonse François de Sade
Sade, philosophe ? Pornographe, assurément, écrivain, évidemment, polémiste et libre penseur, sans doute, mais philosophe également ? Après tout, il est bien l’auteur d’une Philosophie dans le boudoir dont le cinquième dialogue, intitulé Français, encore un effort si vous voulez être républicains (publié en 1795, quelques années après la Révolution française) développe un programme politique hostile à l’Ancien régime qui condamne la peine de mort, défend l’athéisme et justifie le vol et la débauche. Mais plus généralement, c’est l’ensemble de son œuvre qui donne à penser. Car Sade est un homme qui aime les positions pour le moins originales !
Arrêtons donc de lire Sade comme un auteur érotique : qui, d’ailleurs, peut sincèrement s’exciter à la lecture des obscénités cruelles qu’il décrit ? Lisons-le comme le philosophe qu’il est. Il est d’abord un philosophe des Lumières, très critique de la religion dont il estime qu’elle est toujours fondée sur l’ignorance et la crainte. Sade rejette toute forme d’autorité et considère que l’homme doit s’assumer seul, sans guide qui fixe les normes et les valeurs. L’apologie de la sexualité et de la violence les plus débridées sont l’expression de la toute-puissance du moi.
À ce titre, cet homme libre qui a passé près de la moitié de sa vie emprisonné (ou interné) est également un fervent défenseur des droits de l’individu et de l’intérêt personnel, et ce jusqu’à l’égoïsme. Pour lui, le droit à la jouissance est absolument sacré : sur le plan physique en particulier, chacun doit se prêter de bonne grâce aux désirs de l’autre... et réciproquement !
Sade est donc un moraliste, ou plus exactement un anti-moraliste qui prône la subversion des mœurs et le renversement des valeurs traditionnelles. Le plaisir est pour lui la seule norme du bien, et c’est pourquoi il est tout à fait légitime de se soumettre à la volonté d’un autre pourvu qu’on aime ça ! Finalement, Sade entend nous rappeler à la nature qui « nous a créés nus » et qui nous pousse à agir à travers les instincts, pas spécialement bons, qui nous animent. Il estime que c’est elle qui doit régler les rapports entre les individus, et non l’État, la société ou quoi que ce soit d’autre. Ainsi Sade considère-t-il que le meurtre n’est pas criminel : la mort étant un événement naturel, l’homicide n’en est jamais que la précipitation et ne doit donc pas être condamné. Sade est bien le plus révolutionnaire des philosophes.
Les citations de l'auteur
On déclame contre les passions sans songer que c’est à leur flambeau que la philosophie allume le sien
En leur faisant sentir la nécessité de la vertu uniquement parce que leur propre bonheur en dépend, ils seront honnêtes gens par égoïsme, et cette loi qui régit tous les hommes sera toujours la plus sûre de toutes
S’ils veulent qu’absolument vous leur parliez d’un créateur, répondez que les choses ayant toujours été ce qu’elles sont, n’ayant jamais eu de commencement et ne devant jamais avoir de fin, il devient aussi inutile qu’impossible à l’homme de pouvoir remonter à une origine imaginaire qui n’expliquerait rien et n’avancerait à rien
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