Nāgārjuna
Nāgārjuna est le promoteur d’une autre conception du réel, fondée sur la « vacuité ». La vie de ce moine bouddhiste, né entre le IIe et le IIIe siècle au sud-est de l’Inde, reste peu connue et largement mythique. Nāgārjuna est cependant réputé pour avoir fondé l’École du Milieu, en hommage à la Voie du Milieu prônée par l’enseignement de Bouddha.
En quoi consiste-t-elle, cette voie ? Contrairement à toute la philosophie occidentale, le philosophe indien démontre l’absence d’« essence », de substrat ontologique aux choses. Il prône plutôt la vacuité de l’existence et la nature illusoire des phénomènes. « Passions, actes, agents, fruits ressemblent à une ville de génies célestes, sont pareils à un mirage, à un songe », écrit-il.
Pour étayer cette position paradoxale – ni l’existence ni le néant – Nāgārjuna s’emploie à déconstruire la pensée ordinaire. Comparé au philosophe sceptique de langue grecque Sextus Empiricus (Ier siècle), parce qu’il met comme lui à bas la totalité des théories et qu’il s’oppose méthodiquement à tout, Nāgārjuna renonce à la notion même de vérité ontologique, à laquelle nous sommes habitués en Occident depuis Aristote : selon lui, tout change et rien ne demeure identique à soi-même.
Dialecticien virtuose, il s’appuie bien sur le corpus bouddhique, constitué de textes religieux et d’une kyrielle de commentaires érudits, mais il préfère la rigueur logique à l’argutie des gloses, qu’il déconstruit. C’est dans les Stances du milieu par excellence, son livre phare aussi connu sous le titre de Traité du Milieu, qu’il défend l’idée d’un vide ayant une certaine consistance, toujours en mouvement, « impermanent », dont il fait le ressort de la réalité. Son maniement du raisonnement absurde et des outils logiques le placent parmi les précurseurs lointains de la philosophie analytique.
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