Maurice Merleau-Ponty
« Il m’apprit à nouveau la gaité : je ne connaissais personne de gai ; il supportait si allègrement le poids du monde que celui-ci cessa de m’écraser », écrit Simone de Beauvoir à son sujet. Plus loin : « Il ne détestait pas les sorties mondaines et dansait à l’occasion. » De ce portrait de l’étudiant normalien né le 14 mars 1908 à Rochefort dans une famille bourgeoise, on serait tenté de ne retenir qu’une inclination à la superficialité. Ce rapport apaisé au monde, à la conscience de soi et au corps oriente pourtant sa pensée et la lecture originale qu’il fera de la phénoménologie de Husserl.
Cette nouvelle méthode philosophique venue d’Allemagne, Maurice Merleau-Ponty la découvre et en discute dans l’entre-deux-guerres avec son camarade Jean-Paul Sartre. À la Libération, les deux amis créent la revue Les Temps modernes, dont Sartre est le directeur, quand Merleau-Ponty assure le gros du travail de rédacteur en chef. « La tâche que Les Temps modernes se proposaient d’accomplir : le déchiffrement de l’histoire contemporaine, l’esquisse d’une philosophie sociale », se souviendra Merleau-Ponty.
La même année, en 1945, il publie son ouvrage majeur, Phénoménologie de la perception. « En commençant l’étude de la perception, nous trouvons dans le langage la notion de sensation, qui paraît immédiate et claire : je sens du rouge, du bleu, du chaud, du froid. On va voir pourtant qu’elle est la plus confuse qui soit, et que, pour l’avoir admise, les analyses classiques ont manqué le phénomène de la perception », constate-t-il en préambule.
Toute une tradition philosophique, de Platon à Descartes, invite à se méfier des informations recueillies par notre perception : elle nous tromperait, nous éloignerait de la connaissance des choses en soi en ne nous donnant accès qu’aux phénomènes… Merleau-Ponty déplace le problème. Nous sentons bien des couleurs, des formes, des variations de température, de la douleur, inutile de le nier. Mais que signifie sentir, précisément ? La question s’avère vertigineuse et mène à une complète remise en cause du dualisme traditionnel qui fait de l’âme et du corps des instances séparées. Merleau-Ponty s’échine à montrer que sentir est une propriété à la fois du corps et de l’esprit étroitement imbriqués, sans que l’on puisse démêler une priorité de l’un sur l’autre.
Nommé titulaire de la chaire de philosophie au Collège de France en 1952 – il y succède notamment à Bergson –, Merleau-Ponty rompt l’année suivante avec Sartre. Les railleries de ce dernier à l’encontre de son attrait pour les distinctions officielles, passe encore. C’est un désaccord de fond sur la ligne éditoriale des Temps modernes et le communisme, dont Sartre se rapproche quand Merleau-Ponty s'en éloigne et le critique, qui pousse ce dernier à bout.
Le 3 mai 1961 au soir, Merleau-Ponty s’effondre dans son bureau du Collège de France. Après cette mort brutale, Sartre écrit : « L'événement fond sur nous comme un voleur, nous jette dans le fossé ou nous perche sur le mur, nous n'y avons vu que du feu. » Hommage en forme de mea culpa ?
Les citations de l'auteur
La claudication du philosophe est sa vertu
La philosophie boite. Elle habite l'histoire et la vie, mais elle voudrait s'installer en leur centre, au point où elles sont avènement, sens naissant
On ne voit que ce qu’on regarde
Revenir aux choses mêmes, c’est revenir à ce monde avant la connaissance dont la connaissance parle toujours, et à l’égard duquel toute connaissance scientifique est abstraite […]
Pour voir le monde et le saisir comme paradoxe, il faut rompre notre familiarité avec lui, et que cette rupture ne peut rien nous apprendre que le jaillissement immotivé du monde
La conscience est l’être à la chose par l’intermédiaire du corps
Dans la perception, la chose nous est donnée “en personne” ou “en chair et en os”
L’énigme tient en ceci que mon corps est à la fois voyant et visible
La pensée n’est rien d’“intérieur”, elle n’existe pas hors du monde et hors des mots
La peinture ne célèbre jamais une autre énigme que celle de la visibilité
Autrui n’est pas un enclos dans ma perspective sur le monde parce que cette perspective elle-même n’a pas de limites définies […]
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1908 Il naît à Rochefort.1930 Il est reçu deuxième à l’agrégation de philosophie.1945 Il publie Phénoménologie de la perception, son essai le plus célèbre, et fonde avec Jean-Paul Sartre la revue Les Temps modernes. 1952 Il…
Qu’est-ce que percevoir l’espace ? Pour Merleau-Ponty, c’est d’abord l’« habiter » avec son corps. Vous êtes perdu ? On vous aide à vous orienter.
Un grand livre résumé en une phrase
Pour Merleau-Ponty , l’esprit et le corps sont inséparables. Le philosophe explore notre expérience charnelle et perceptive du monde. L’écrivaine Siri Hustvedt explique comment sa pensée l’a aidée dans des moments difficiles de son…